La problématique :
- le salarié est embauché pour des taches précisées dans son contrat de travail,
- les mois et les années passent, ses fonctions évoluent, mais le contrat de travail n'est pas actualisé et sa rémunération reste identique.
- à un moment (généralement lors de la rupture du contrat de travail), le salarié réclame à son employeur un rappel de salaire pour les fonctions qu'il a réellement exercées et qui ne sont plus celles mentionnées dans son contrat de travail.
Précision : Les développements suivants n'engagent que leur auteur - ils sont une analyse critique de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation dont on peut espérer qu'elle évoluera (j'actualiserai ce billet en conséquence). Cela étant n'hésitez pas à vous en servir si cela peut vous être utile.
Selon une jurisprudence absolument constante, « la qualification d'un salarié se détermine relativement aux fonctions réellement exercées par celui-ci » (jurisprudence constante, not. Soc. 30 juin 1988 Bull. nº 398 pourvoi nº 86-40818).
Pour l'instant, il est systématiquement jugé qu’il incombe au salarié de prouver que les fonctions qu’il exerce réellement au cours de son contrat de travail ne correspondent plus à celles stipulées dans le contrat de travail lors de sa conclusion et qui n’ont pas été réactualisées depuis par voie d’avenants : si cette preuve n'est apportée, le salarié est débouté de ses demandes de rappel de salaire.
Cela n’est que l’application du premier alinéa de l’article 1315 ancien / 1353 nouveau du code civil qui dispose que « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ».
Mais cet article dispose également, en son deuxième alinéa, que « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».
Il serait donc logique de considérer qu'il incombe ainsi à l'employeur d’apporter la preuve qu’il s’est valablement libéré de son obligation et qu’en l’occurrence la rémunération versée au salarié correspond aux fonctions réellement exercées par ce dernier et qu’elles s’identifient à celles stipulées dans le contrat de travail ou sur les bulletins de salaire.
Et cette égale répartition du fardeau probatoire n’est nullement circonscrite à une logique civiliste.
Dans son rapport annuel consacré à la preuve, la Cour de cassation a souligné qu’elle irrigue tout le droit du travail : comme en témoigne notamment le contentieux relatif à la preuve des heures supplémentaires accomplies (R. p.207), celui relatif au harcèlement moral (R. p.200) et à la discrimination (R. p.203), ou encore celui relatif au principe d’égalité de traitement (not. Soc. 13 janvier 2004 Bull. nº 1 pourvoi nº 01-46407 ; Soc. 25 mai 2005 Bull. nº 178 pourvoi nº 04-40169).
Il incombe ainsi au salarié de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles d’établir que les fonctions qu’il a réellement exercées ne sont plus celles stipulées dans le contrat de travail, de la même manière qu’il lui incombe d’établir les heures supplémentaires réellement effectuées ou les éléments qui laissent présumer une discrimination, un harcèlement moral ou une atteinte au principe d’égalité ; réciproquement il appartient à l'employeur de démontrer que les fonctions réellement exercées sont celles stipulées dans le contrat de travail ou sur les bulletins de salaires, que les heures travaillées sont celles mentionnées dans le contrat de travail, sur les bulletins de salaires ou dans l’accord collectif et que les éléments laissant présumer une discrimination, un harcèlement ou une atteinte au principe d’égalité reposent en réalité sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ou harcèlement.
Ce partage du fardeau probatoire, commune au droit civil et au droit du travail, se justifie d’autant mieux en droit du travail que les éléments de preuve sont généralement détenus par l'employeur, comme l’a souligné la Cour de cassation dans son rapport annuel précité.
Concernant les heures de travail accomplies, le rapport souligne « qu’en effet, cet aménagement de la charge de la preuve repose sur le fait que c’est principalement l’employeur qui détient, ou doit détenir, les éléments permettant de justifier des horaires réalisés par le salarié. Il détermine les horaires de travail, il les contrôle. La chambre a d’ail- leurs eu l’occasion de juger que l’employeur doit être en mesure de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié » (R. p.208).
A fortiori il en va de même concernant les fonctions réellement exercées par le salarié.
En effet, c’est l'employeur, dans l’exercice de son pouvoir de direction, tout au long de l’exécution du contrat de travail, qui confie au salarié des fonctions qui ne sont pas figées lors de la conclusion du contrat de travail.
Par conséquent, si « la preuve des heures de travail accomplies n’incombe spécialement à aucune des parties et que le juge ne peut, pour rejeter une demande d’heures supplémentaires, se fonder sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié, qu’il doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et que l’employeur doit lui fournir » (R. p.207-8) – selon la même logique et pour les mêmes raisons – la preuve des fonctions réellement exercées n’incombe spécialement ni au salarié ni à l'employeur et le juge ne saurait, pour rejeter une demande de repositionnement conventionnel, se fonder sur la seule insuffisance des preuves apportées par le salarié puisqu’il doit examiner les éléments que l'employeur détient et qu’il doit lui fournir.
Pour d’emblée couper court à toute objection sur ce point, il n’est nul besoin d’une disposition spéciale du code du travail pour parvenir à une telle répartition du fardeau probatoire puisqu’elle découle de l’article 1315 ancien / 1353 nouveau du code civil.
C’est d’ailleurs sur le seul fondement de ce texte qu’a été fondée la jurisprudence relative au principe d’égalité (préc. supra Soc. 13 janvier 2004 Bull. nº 1 pourvoi nº 01-46407 ; Soc. 25 mai 2005 Bull. nº 178 pourvoi nº 04-40169).
Mieux encore, l’application du principe d’égalité de traitement suppose préalablement que soit identifiée les fonctions réellement exercées par le salarié ainsi que celles des homologues auxquels il se compare.
Le régime probatoire ne saurait donc être différent selon que l’on s’interroge sur les fonctions réellement exercées par le salarié et selon que l’on compare de telles fonctions à celles d’autres salariés.
Cette répartition du fardeau probatoire entre le salarié et l'employeur a une incidence sur l’office du juge.
Comme dans les domaines précités, en cas de contestation sur les fonctions exercées par le salarié, le juge ne peut se borner à débouter le salarié de sa demande tendant à obtenir un repositionnement conventionnel au motif que sa demande n’est pas suffisamment étayée par des éléments de preuve.
Il doit aussi vérifier que les fonctions réellement exercées par le salarié correspondent bien à celles énoncées dans le contrat de travail ou sur les bulletins de paie.
L’insuffisance des éléments avancés par le salarié au soutien de la créance salariale qu’il sollicite, ne préjuge en rien de ce que l'employeur se serait valablement libéré de son obligation de rémunérer le salarié selon les fonctions que celui-ci a réellement exercées.
Les deux propositions sont indépendantes.
Ou alors il faut admettre que l'employeur peut se préconstituer la preuve par écrit de ce qu’il a rémunéré le salarié au regard des fonctions réellement exercées par ce dernier, au seul prétexte qu’elles figurent sur un bulletin de salaire établi par l'employeur ou dans un contrat de travail signé des années auparavant.
Il est néanmoins acquis que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même » (cf. Rapport annuel précité p.222 et s. et désormais l’article 1363 du code civil dans sa rédaction issue de l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016, jurisprudence constante antérieure not. Civ.1 14 janvier 2003 Bull. nº 9 pourvoi nº 00-22894).
Rien ne justifie une telle entorse à ce principe.
Cette répartition du fardeau probatoire entre le salarié et l’employeur a été perdu de vue dans l’arrêt attaqué.
Conclusion :
- - en cas de contestation, il appartient au salarié d’apporter la preuve que les fonctions réellement exercées lui permettent de prétendre à un repositionnement conventionnel, autant qu’il appartient à l’employeur d’apporter la preuve que les fonctions réellement exercées correspondent à celles pour lesquelles le salarié a été rémunéré
- - en conséquence, le juge doit non seulement comparer les fonctions réellement exercées par le salarié à la classification conventionnelle revendiquée par celui-ci autant qu’il doit vérifier qu’elles correspondent à celles pour lesquelles l'employeur l’a rémunéré