La question posée est délicate à trancher. Pour comprendre l'enjeu de cette problématique quelques observations liminaires s'imposent.
Les notions de discrimination et d’inégalité de traitement sont poreuses, comme le relevait la Cour de cassation dans son rapport annuel pour l’année 2008. Cette analyse mérite d’être succinctement rappelée car elle est cruciale pour les développements qui suivent :
« Les notions d’égalité et de discrimination sont souvent confondues. Il est vrai que pour le droit communautaire, la prohibition des discriminations est la conséquence d’un principe d’égalité de traitement (...)
La prohibition des discriminations apparaît comme la traduction juridique d’une conception de l’homme appréhendé en lui-même et pour lui-même. Les règles d’égalité, en revanche, se rattachent à une conception des rapports sociaux entre les individus ou les groupes. La prohibition des discriminations est donc avant tout le résultat d’une pensée ontologique, tandis que les règles d’égalité sont le résultat d’une pensée sociologique.
Les dispositions prohibant les discriminations n’interdisent pas que des différenciations soient opérées entre des personnes placées dans des situations identiques ou analogues. Elles empêchent seulement que ces différences soient fondées sur des critères précisément énumérés. Ainsi, l’article L. 1132-1 du code du travail donne une liste limitative des éléments dont la prise en considération est interdite. Par l’énumération exhaustive des critères de discrimination prohibés, ce texte postule, en creux, la légitimité de principe, et beaucoup plus générale, d’établir des différenciations entre les salariés (…)
L’examen des éléments prohibés par ce texte montre aussi que l’interdiction des discriminations visées est liée à une certaine conception de l’homme. Les premiers critères visés sont l’origine, le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la non appartenance à une ethnie, à une nation ou à une race. Ils renvoient à une conception unitaire du genre humain, à une fraternité non pas de l’affect, mais du vivant. Ils interdisent qu’une personne soit défavorisée en raison de ses caractéristiques propres, de ce contre quoi, en tant qu’être vivant, elle ne peut rien (…)
Le développement de l’égalité procède aussi d’une dynamique propre qui prend racine dans la prohibition des discriminations. Si l’on commence à mettre en question les différences au titre des discriminations, il est en effet difficile de s’arrêter à la seule constatation que telle différence ne relève pas d’une discrimination interdite (…) Si telle différence n’est pas l’effet d’une discrimination, de quoi donc est-elle l’effet ? De son côté, l’employeur soumis à la question ne peut guère montrer ce que la différence n’est pas, sans établir ce qu’elle est. Le dépassement de la discrimination est inéluctable et rencontre alors la montée en puissance des exigences de motivation et de justification des conduites patronales. Le recours à une règle d’égalité permet au juge de légitimer son questionnement et d’apprécier la valeur de la réponse de l’employeur. Elle est essentiellement une exigence de rationalité, une condamnation de l’arbitraire (...)
Sur le plan technique, la confusion est en partie entretenue par un système de preuve souvent présenté comme commun. En vérité, il ne l’est pas ou du moins peut l’être en partie seulement.
La preuve d’un traitement inégalitaire est nécessairement une preuve par comparaison. Elle suppose toujours la mise en parallèle de la situation de celui qui invoque l’inégalité de traitement avec la situation d’autres salariés auquel il entend se comparer. L’essentiel des questions posées à la Cour de cassation en matière d’égalité de traitement concerne précisément la pertinence des situations comparées. Il s’agit de déterminer le cercle des égaux, l’espace au sein duquel doit être assurée l’égalité en évinçant de la comparaison ceux qui ne se trouvent pas dans une situation identique.
La preuve de la discrimination passe par le même processus lorsque le salarié doit apporter au juge des éléments laissant supposer la défaveur dont il se prétend victime et son caractère discriminatoire. Un retard de carrière ou une rémunération minorée invoqués par un syndicaliste ne s’établissent pas en soi. Ils ne peuvent résulter que d’une comparaison avec d’autres, placés dans une situation identique à l’exception du critère discriminatoire dont la prise en compte est invoquée. Mais la preuve directe de la discrimination est possible chaque fois qu’une mesure défavorable peut être établie en soi (...) »
(rapport annuel p. 83-87 extraits - à retrouver en intégralité ici https://goo.gl/VAF13Ex)
La porosité des deux notions pourrait laisser penser qu'elles sont parfaitement intervertibles.
Sous prétexte que la preuve de la discrimination passe par une comparaison avec d’autres salariés, le juge peut vouloir être enclin à vouloir requalifier la demande du salarié et juger que la demande de la salariée ne repose pas sur une discrimination mais en réalité sur une inégalité de traitement (ou inversement d'ailleurs).
Et l'article 12 du code de procédure civile le lui permet puisqu'il dispose dans ses deux premiers alinéas :
"Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée".
Mais cette requalification est dangereuse.
Car, à raisonner ainsi, un salarié protégé qui se prétend victime d’un retard dans l’évolution de sa rémunération par rapport à d’autres salariés ne serait jamais victime d’une discrimination syndicale mais seulement d’une inégalité de traitement.
A raisonner ainsi, à chaque fois que la preuve de la discrimination passe par une comparaison, il n’y a plus de discrimination mais il n’y aurait qu’inégalité de traitement.
C’est réduire la discrimination à une peau de chagrin et enfler artificiellement le régime de l’inégalité de traitement.
A raisonner ainsi, à chaque fois que la preuve de la discrimination passe par une comparaison, il n’y a plus de discrimination mais il n’y aurait qu’inégalité de traitement.
C’est réduire la discrimination à une peau de chagrin et enfler artificiellement le régime de l’inégalité de traitement.
Reste à déterminer le critère à partir duquel une demande visant à faire reconnaître une discrimination peut être distinguée d’une demande visant à faire reconnaître une inégalité de traitement.
La réponse se trouve dans la demande formulée par le salarié devant le juge.
Si le salarié estime que l’inégalité de traitement dont il est victime trouve sa cause dans l’un des motifs prohibés par l'article L1132-1 du code du travail, le juge est alors tenu de rechercher si les éléments de fait présentés par le salarié laissent supposer l’existence d’une discrimination pour ce motif prohibé.
Ce n’est que dans la négative que le juge peut requalifier la demande du salarié comme tendant uniquement à faire reconnaître une inégalité de traitement – sachant, sur ce point, au visa de l'article 12 du code de procédure civile, la Cour de cassation retient que « le juge n'est pas tenu, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique des demandes formées par les parties » (Soc. 29 mars 2017, nº 15-29329 – Soc. 29 mars 2017, nº 15-27938 – jurisprudence constante).
Vainement viendrait-on objecter que « parmi les principes directeurs du procès, l'article 12 du code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions » (préc. Soc. 29 mars 2017, nº 15-29329 – Soc. 29 mars 2017, nº 15-27938 – jurisprudence constante).
Car justement, lorsqu’une discrimination peut être prouvée par la mise en évidence d’une inégalité de traitement, le comportement reproché à l'employeur est susceptible de deux qualifications, autant la discrimination que l’inégalité de traitement.
Dans cette hypothèse, les deux qualifications sont exactes ou – pour le formuler autrement – aucune des deux qualifications n’est a priori moins ou plus exacte que l’autre, de sorte que le juge du fond ne peut pas utiliser les pouvoirs qu’il tient de l’article 12 du code de procédure civile pour faire abstraction du régime juridique de la discrimination invoqué par le salarié afin de n’examiner sa demande qu’au titre de l’inégalité de traitement.
L’obligation du juge de restituer « l’exacte qualification » suppose que celle qui lui est proposée est fausse : il est donc préalable au juge de déterminer en quoi les faits invoqués par le salarié ne peuvent être appréhendés sous le régime de la discrimination pour ne pouvoir l’être qu’au titre de l’inégalité de traitement.
Au demeurant, admettre que le juge peut d’office requalifier la demande de reconnaissance d’une discrimination en une demande d’inégalité de traitement sans l’examen préalable des éléments que le salarié fait valoir dans ses écritures, c’est procéder à une dénaturation de celles-ci : c’est amputer l’argumentation du salarié de la discussion relative au motif prohibé par l’article L1132-1 du code du travail pour ne garder que l’inégalité de traitement qui en résulte.
Par conséquent, après avoir constaté qu'un salarié s’estime victime d’une discrimination, le juge commettrait une erreur de droit – par refus d’application les articles L1132-1 et L1134-1 du code du travail et par fausse application le principe de l’inégalité de traitement et l'article L 3221-2 du code du travail – en requalifiant la demande de la salariée comme une demande en reconnaissance d’une inégalité de traitement.
Au préalable, le juge est tenu de rechercher si les éléments de fait présentés par le salarié laissaient supposer une discrimination.
Conclusion : si le salarié estime que l’inégalité de traitement dont il est victime trouve sa cause dans l’un des motifs prohibés par l'article L1132-1 du code du travail, le juge est tenu de rechercher si les éléments de fait présentés par le salarié laissent supposer l’existence d’une discrimination et ce n’est que dans la négative qu’il peut requalifier la demande du salarié comme tendant uniquement à faire reconnaître une inégalité de traitement.