I.
- la jurisprudence antérieure aux ordonnances « Macron »
Les
deux articles du code du travail applicables sont les suivants :
Article
L1152-2 :
« Aucun
salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être
sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire,
directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de
formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de
classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de
renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des
agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné
de tels agissements ou les avoir relatés ».
Article
L1152-3 : « Toute rupture du contrat de travail
intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1
et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ».
Sur
le fondement de ces textes, par trois arrêts de principe, la Cour de
cassation a jugé que le salarié ne peut être licencié pour avoir
relaté des faits de harcèlement moral sauf mauvaise foi de sa part
et qu’en conséquence le licenciement prononcé est nul.
Plus
précisément, la cour régulatrice a retenu que:
-
« le salarié qui
relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour
ce motif, sauf mauvaise foi,
laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits
dénoncés ne sont pas établis et n'est constituée que lorsqu'il
est établi que l'intéressé savait que les faits dénoncés
étaient faux » (Soc. 7
février 2012 Bull. nº 55, pourvoi nº 10-18035)
- « sauf
mauvaise foi, un salarié ne peut être sanctionné pour avoir
dénoncé des faits de harcèlement moral. Viole les
articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail une cour d'appel
qui, pour retenir la faute grave du salarié, relève un abus dans
l'exercice de sa liberté d'expression pour avoir dénoncé aux
membres du conseil d'administration de l'employeur des agissements
inacceptables de violence morale, altérant sa santé mentale et
dégradant ses conditions matérielles en vue de compromettre son
avenir professionnel de la part de son supérieur hiérarchique,
sans caractériser la mauvaise foi du salarié, alors qu'elle avait
constaté que celui-ci avait été licencié pour avoir
relaté des faits de harcèlement, ce dont il résultait que le
licenciement était nul »
(Soc.
19 octobre 2011 Bull. nº 234 pourvoi nº 10-16444)
- « le
salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être
licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut
résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont
pas établis. Viole les articles L. 1152-2 et L. 1152-3
du code du travail, la cour d'appel qui retient que le fait pour un
salarié d'imputer à son employeur des irrégularités graves dont
la réalité n'est pas établie et de reprocher des faits de
harcèlement à un supérieur hiérarchique sans les prouver,
caractérise un abus dans l'exercice de la liberté d'expression et
constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, alors que
le grief tiré de la relation d'agissements de harcèlement
moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'était pas alléguée,
emportait à lui seul la nullité
de plein droit du licenciement » (Soc.
10 mars 2009 Bull. nº 66 pourvoi nº 07-44092).
La
solution est désormais constante (illustrations récentes, not. Soc.
8 mars 2017, nº 15-25072 ; Soc. 3 février 2017 pourvoi nº
15-16340 ;
Soc. 2 novembre 2016 pourvoi nº 15-20916 ;
Soc. 30 novembre 2016 pourvoi nº 15-20969 ;
Soc. 29 septembre 2016 pourvoi nº 15-17511 ;
Soc. 28 septembre 2016 pourvoi nº 14-28298 ;
Soc. 13 janvier 2016 pourvoi nº 14-20830 ;
Soc. 8 décembre 2015 pourvoi nº 14-16278 ;
Soc. 25 novembre 2015 Bull. en cours pourvoi nº 14-17551 ;
Soc. 14 octobre 2015 pourvoi nº 13-28484 ;
Soc. 14 octobre 2015 pourvoi nº 14-12584 ;
Soc. 10 juin 2015 Bull. en cours pourvoi nº 13-25554 ;
Soc. 10 juin 2015 Bull. en cours pourvoi nº 14-13318 ;
Soc. 12 juin 2014 pourvoi nº 12-28944 ;
Soc. 22 janvier 2014 pourvoi nº 12-15430),
en particulier, parmi les arrêts précités, not. :
- « qu'ayant constaté d'une part, que dans la lettre de licenciement il était notamment reproché au salarié d'avoir tenté d'instruire un dossier de harcèlement à la seule fin de préparer son dossier contentieux et d'autre part, que l'employeur n'établissait pas que cette dénonciation avait été faite de mauvaise foi, laquelle ne résulte pas de la seule circonstance que les faits dénoncés ne seraient pas établis, la cour d'appel qui n'avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que ce grief emportait à lui seul la nullité du licenciement » (Soc. 8 décembre 2015 pourvoi nº 14-16278)
- « Mais attendu que la cour d'appel, constatant que l'employeur reprochait notamment au salarié d'entretenir de graves difficultés relationnelles avec sa hiérarchie et d'avoir récemment évoqué auprès du représentant du personnel son intention de déposer plainte pour harcèlement moral, a retenu que le licenciement était fondé notamment sur la dénonciation par lui de faits de harcèlement moral et que le licenciement était, en l'absence de mauvaise foi du salarié, entaché de nullité » (Soc. 14 octobre 2015 pourvoi nº 14-12584).
C’est
surtout la dernière illustration jurisprudentielle qui est
particulièrement topique :
« Vu les articles L.
1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;
Attendu que pour débouter
le salarié de ses demandes en annulation de son licenciement, en
paiement des indemnités à ce titre et en contestation de sa
condamnation au paiement à la société d'une somme sur le fondement
de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt retient qu'il
ressortait clairement des termes de la lettre de licenciement que le
motif du licenciement du salarié est son comportement à l'égard de
ses collaborateurs et non
l'accusation de harcèlement commis à son égard par le président
du groupe qui est évoquée en fin de lettre comme stratégie
de défense inacceptable, que le moyen soulevé par
l'appelant sur le fondement de l'article L. 1152-2 du code du travail
au motif qu'il aurait été licencié pour avoir dénoncé des faits
de harcèlement moral n'est donc pas fondé ;
Attendu cependant que le
salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être
licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter
de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis
;
Qu'en se déterminant comme
elle a fait, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait
informé la société de son action prud'homale par lettre du 21
octobre 2010 en raison de faits de harcèlement moral dont il se
prétendait victime de la part du président du groupe, que ce
dernier avait réfuté cette accusation par lettre du 29 octobre et
que la lettre de licenciement du 16 novembre faisait
état de cette accusation de harcèlement évoquée comme stratégie
de défense inacceptable, la cour d'appel, qui ne
s'est pas expliquée sur la concomitance entre la dénonciation des
faits et le déclenchement de la procédure de licenciement, ni sur
les termes des lettres précitées du président du groupe reprochant
au salarié les accusations de harcèlement moral formulées à son
encontre, n'a pas légalement justifié sa décision »
(Soc.
3 février 2017 pourvoi nº 15-16340).
Dans
cette décision le salarié n’a pas été licencié pour avoir
proféré des accusations de harcèlement moral à l’encontre de
son employeur. L’accusation
de harcèlement moral n’était pas un motif de licenciement :
l'employeur se bornait simplement à relever qu’il s’agissait là
d’une « stratégie
de défense inacceptable ».
Même
dans ce cas, le licenciement est nul.
En
conclusion : si jamais l'employeur mentionne dans la lettre de
licenciement le fait que le salarié s’estime victime de
harcèlement moral, l'employeur doit impérativement démontrer la
mauvaise foi du salarié, sachant que celle-ci est interprétée très
strictement par les juges du fond.
II.
- l’apport des ordonnances « Macron ».
L’article
L1235-3-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de
l’Ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017, dispose désormais :
« L'article
L. 1235-3 [NDT :
celui qui est relatif aux barèmes d’indemnisation] n'est
pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est
entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent
article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite
de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration
est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de
l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six
derniers mois.
Les
nullités mentionnées à l'alinéa précédent sont celles qui sont
afférentes à la violation d'une liberté fondamentale, à des faits
de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux
articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire
dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou
consécutif à une action en justice, en matière d'égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions
mentionnées à l'article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de
crimes et délits, ou à l'exercice d'un mandat par un salarié
protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la
deuxième partie, ainsi qu'aux protections dont bénéficient
certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L.
1226-13 (...) ».
En
clair, le juge est tenu d’indemniser intégralement le préjudice
subi par le salarié, il existe un plancher d’indemnisation (6 mois
de salaires) mais pas de plafond.
La
question qui se pose c’est : est-ce que le juge peut néanmoins
tenir compte des autres griefs mentionnés dans la lettre de
licenciement pour apprécier l’étendue du préjudice subi par le
salarié qui est licencié en autre pour avoir relaté des faits de
harcèlement moral mais également pour d’autres raisons.
Or,
il existe un autre article du code du travail qui a été créé par
l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article
L1235-2-1 qui énonce :
« En
cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs
reprochés au salarié porte atteinte
à une liberté fondamentale,
la
nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner
l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas
échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer
au salarié,
sans préjudice des dispositions de l'article L. 1235-3-1 ».
Certes
le texte se réfère exclusivement aux libertés fondamentales et ne
fait aucune référence au harcèlement moral.
Le
harcèlement moral n’est d’ailleurs pas une atteinte à une
liberté fondamentale mais une atteinte à la dignité du salarié.
Cela
étant il est commun de considéré que la dignité de la personne
humaine est la matrice de toutes les libertés fondamentales qui en
découle.
Est-ce
à dire que, dans un futur plus ou moins proche, la Cour de cassation
ne va pas amender sa jurisprudence pour considérer qu’en cas de
pluralité de motif de licenciement dont celui relatif au fait
d’avoir relaté des faits de harcèlement moral, le juge doit
examiner tous les griefs pour en tenir compte dans l’évaluation du
préjudice indemnisé ? Rien ne permet de l’exclure.
Au
demeurant on sent poindre cette tentation dans certains arrêts de la
cour régulatrice où celle-ci admet la dissociation entre
l’existence d’un harcèlement moral qui est indemnisé et un
licenciement qui repose sur une autre cause, jugée réelle et
sérieuse :
Soc.
12 octobre 2016 pourvoi nº 15-18711
« Mais
attendu que c'est dans le cadre de son pouvoir souverain
d'appréciation que la cour d'appel, analysant la valeur et la portée
des éléments de preuve produits, a retenu, sans encourir les griefs
du moyen, qu'il n'était
pas établi que le licenciement pour insuffisance professionnelle
avait pour origine le harcèlement moral dont elle constatait par
ailleurs l'existence »
déjà
Soc. 11 février 2015 pourvoi nº 13-24200
« Mais
attendu qu'après avoir relevé que la lettre de licenciement
reprochait au salarié d'avoir abusé de sa liberté d'expression
dans une lettre du 29 juillet 2010 qu'il avait adressée à son
supérieur hiérarchique et d'avoir ainsi manqué à son obligation
de loyauté envers son employeur, la cour d'appel, procédant à la
recherche de la véritable cause du licenciement, a retenu que le
salarié avait été licencié pour ce seul motif et non pas pour
avoir dénoncé des faits de harcèlement moral »
ou
encore Soc. 4 juin 2014 pourvoi nº 13-17099
« Mais
attendu que la cour d'appel a décidé à bon droit que, si la
salariée avait été victime de harcèlement moral, aucun élément
ne permettait de rattacher la rupture du contrat de travail à la
situation de harcèlement, et que dès lors la nullité du
licenciement n'était pas encourue de ce chef ; que le moyen n'est
pas fondé »
ou
Soc. 2 juillet 2014 pourvoi nº 13-19990
« Mais
attendu que la cour d'appel a fait ressortir que le licenciement
était sans rapport avec la prétendue dénonciation de faits de
harcèlement subis par un subordonné »
(à
rapprocher aussi de Soc. 29 juin 2016 pourvoi nº 15-11013)
Si
l’on admet que, nonobstant l’existence d’un harcèlement moral
avéré et indemnisé par ailleurs, le licenciement peut être fondé
sur une cause réelle et sérieuse – on ne voit pas très bien
pourquoi le reproche fait au salarié d’avoir relaté un
harcèlement moral non constitué devrait occulter tous les autres
motifs de licenciement si ceux ci sont avérés.
En
conclusion, pour solide que puisse paraître la jurisprudence
rappelée dans la première partie de ce billet, des fissures
pourraient apparaître d’autant qu’il existe désormais un
article du code du travail sur lesquelles elles peuvent prendre
appui.